Morrighan avait tout pour être heureuse : cette fille unique de marchand d’étoffe avait épousé le tisserand le plus riche de la ville qui lui avait donné deux beaux enfants et projetait de lui en faire bien plus. Ayant repris le commerce d’étoffe après la mort de ses parents, elle s’absentait souvent pour s’occuper de son commerce.
Elle avait pris la mer en ce mois de février pour aller vendre sa marchandise à la cour d’Ecosse, et quand elle revint sa douleur fut indescriptible : son mari et ses enfants avaient péri dans l’attaque de la ville par l’armée anglo-saxonne.

Ivre de rage, la jeune femme avait décidé de se venger et pour se faire menait son enquête. Elle avait notamment découvert que de nombreuses rumeurs courraient sur les soldats : on parlait de démons, de bêtes sauvages, de malédictions, bref, il y avait quelque chose de pas net les concernant qu’elle comptait démasquer.

C’est dans cette optique qu’elle donna rendez-vous à Saíréann, réputé comme étant le meilleur chasseur de toute la côte ouest de l’Irlande dans la taverne la plus mal famée de la ville. Si sa réputation était juste, lui aussi avait du mener sa petite enquête…

Sexe: Féminin

Age: 23 ans

Race: Humaine

La jeune mère était à la fois la tempérance incarnée et une personne au sang chaud et impétueux. Cela dépendait uniquement des personnes à qui elle avait affaire. En affaires justement, elle n'entendait pas se faire marcher sur les pieds et avait appris auprès de son père à mener les affaires comme un homme. Avec sa famille et notamment ses enfants, elle avait appris à se poser, à apprécier les choses simples et à prendre son temps.
Morrighan était fière de sa position, de sa réussite, de sa famille. Les siens étaient ce qu'elle possédait de plus précieux au monde. Mais elle n'aurait laissé son commerce pour rien au monde. Elle avait réussi à concilier ses différentes passions dans cette belle petite vie organisée et heureuse, menant parfois son petit monde à la baguette. Pour leur bien évidemment...

Fille de marchand d’étoffe, Morrighan a toujours connu l’abondance et le luxe: élevée dans une des plus belles demeures de Galway, vêtue des plus belles robes, elle aurait pu se contenter d’être belle et de se taire mais cela ne correspondait pas du tout à son caractère : vive et téméraire, elle avait la fièvre du commerce dans le sang et se destinait depuis toujours à vivre sur les traces de son père en faisant fructifier leur commerce de façon encore plus éclatante.
Au cours des négociations avec ses fournisseurs, elle rencontra Ternoc, un riche tisserand qui lui plut tout de suite : ils se marièrent et eurent le premier enfant dans l’année, ce qui ne l’empêcha pas de continuer à faire tourner les affaires, même enceinte jusqu’au cou.
Les années passèrent, productives et heureuses, jusqu’à cette funeste nuit de février où sa famille allait périr alors qu’elle était en pleine mer…

L'endroit du rendez-vous était à quelques pas. La jeune femme s'était arrêtée pour respirer un grand coup avant de se lancer dans cet établissement peu recommandable. Elle s'était vêtue pour l'occasion des vêtements les plus abîmés qu'elle avait pu trouver. Elle était tombée sur des vieilles robes dont les couleurs avaient passé, car portées en mer et qu'elle comptait réutiliser pour confectionner des nouveaux habits à sa fille. Elle n'en aurait plus l'utilité désormais... A cette idée, elle serra les dents, mélange de désespoir et de haine.
Morrighan réajusta le large châle dont elle avait couvert ses épaules et enserra sa tête avec pour dissimuler au mieux ses boucles blondes. Elle se dirigea alors d'un pas décidé vers la porte de la taverne. Celle-ci était glauque sous la faible lueur de ce jour de pluie. Le crépuscule tombait doucement et donnait des reflets angoissants à ce quartier de Galway qui semblait avoir subi plus que les autres les assauts de l'attaque. Pourtant ce n'était qu'une impression qu'accentuait le délabrement habituel des rues et des bâtiments qui les longeaient.

La porte grinça quand la jeune femme appuya dessus pour la pousser. Son cœur battait la chamade mais elle ne comptait pas abandonner, ni fléchir. Si une simple petite taverne minable lui faisait peur, elle ne serait jamais à la hauteur pour venger les siens. Les premiers pas lui coûtèrent. Tout ce qu'elle exécrait se trouvait réuni dans cet endroit : saleté, débauche, puanteur, ivrognerie... Si elle ne voulait pas se faire remarquer, elle devrait pourtant paraître sinon habituée, tout du moins non dérangée par tout ce qui l'entourait. Son statut de riche commerçante pourrait être dangereux pour elle si l'on venait à l'identifier.

La jeune veuve s'assit à une table seule. Elle repoussa de la main les verres sales qui peuplaient le support de bois et essuya celle-ci sur sa robe sitôt la basse besogne accomplie. Ses yeux clairs remarquèrent une vie animale rampant à quelques dizaines de centimètres de sa chaise. Elle rangea ses pieds sous sa robe longue comme si cela pouvait l'empêcher d'entrer en contact avec les rampants insectes et mammifères de ce lieu sordide.
Elle attendit ainsi quelques minutes qui lui parurent une éternité...

Un jour de plus dans cette vie. Un jour de plus à osciller entre un bon et un mauvais karma. Tout ce qu'il faisait ; les putains à 2 sous, les bordels à 2 pièces d'or, la bière et la chasse... Toutes ces actions qui, entremêlées, rendaient le tout ni bon, ni mauvais. Comme si quelconque divinité avait mélangé avec parcimonie le tout pour en faire un mélange homogène. Mais ce qu'il allait faire ce soir allait définitivement faire pencher la balance vers l'autre côté, le rapprochant un peu plus du Cornu. Il avait rendez-vous avec une donzelle dans une taverne - qui accessoirement était la plus miteuse de tout ce trou perdu de l'Irlande. Il se demandait ce qu'elle lui voulait... A tout les coups, elle ne voulait pas vendre son corps mais plutôt acheter ses services. Qui voulait-elle éliminer ? Un amant trompeur ? Un mari la cocufiant ? Un voleur ? Un assassin ? Il se demandait bien. Mais il le verrait bien. Il s'engouffra dans la nuit se rafraîchissant, avec pour seuls habits une fourrure, un habit en cuir et un kilt.

Il pénétra dans la taverne. Le bâtiment était dans un piteux état - et pourtant les tavernes et lui, c'était une grande histoire d'amour. Ça empestait l'alcool et le vomi, les relents de liquides assez douteux et indécents et le sol... Couvert d'une couche telle de poussière, que même les paysans ne prenant qu'un bain annuel ne souhaiteraient pas y déposer les pieds. Mais aussi, dans cette taverne se côtoyaient vermine et humains... Enfin, ceux qui ressemblent aux humains. Et justement, il avait besoin de trouver l'humaine qui souhaitait louer ses services. Il repéra vite l'intéressée. C'était la seule femme n'ayant guère l'allure d'une catin de bas étage, qui ouvrirait ses cuisses au premier venu pour presque une bouchée de pain. Il se dirigea vers elle et s'assit à sa table. Ses pieds vinrent brutalement se poser sur la table, laissant entrevoir qu'il respectait la tradition quant aux kilts. Il se racla la gorge et cracha un gros mollard par terre.

- Tavernier, apporte-moi ta meilleure brune ! Et j'espère qu'elle est en meilleur état que tes lieux ! Dit-il en hurlant à l'intention de ce dernier. Il se retourna vers la donzelle et la reluqua. Alors, j'ai entendu dire que vous aviez besoin de moi ? Qu'est-ce que je peux pour vous, milady ?

Il caressa machinalement le pommeau de son, épée. C'était un mouvement devenu comme une habitude, un tic rassurant pour sa personne. Il était chasseur et très doué, certes mais il n'était pas invulnérable. Il était toujours susceptible de se faire attaquer par surprise.

Il arriva enfin. Était-il besoin de préciser qu'aux yeux de la jeune femme, le chasseur avait toutes les caractéristiques du pauvre gars ? Même ses marins avaient plus de tenue. Malheureusement aucun d'eux n'était très à son aise sur la terre ferme et leur maniement d'une lame se bornait à jouer du couteau pour couper des morceaux de viande. En somme, cet homme-là ne dépareillait pas avec le cadre mais il cadrait parfaitement à ses exigences en terme de compétences.
Morrighan ne détourna cependant pas les yeux lorsque prenant ses aises, l’Écossais mit les pieds sur la table, faisant frémir les verres qui s'y trouvaient poser et qu'il offrit ainsi à sa vue l'inventaire de ses attributs d'homme. Le crachat qu'il fit par ailleurs réveilla un rictus au coin de la jolie bouche de la commerçante. Il fallait pas trop lui en demander.

Elle se redressa vivement du dossier de sa chaise et attrapa les bottes sales qui trônaient devant elle. Elle les repoussa avec vigueur vers l'extérieur de la tablée, dévoilant par la même plus qu'elle n'aurait préféré en voir sous un kilt. Peu importait ! Tu as un but ma fille, ne commence pas à t'émouvoir !!

« Je veux voir le visage des gens à qui je m'adresse. » répliqua-t-elle plus agressivement que voulu. Après tout, elle n'était pas là pour se faire un ami, ni vraiment un allié mais plutôt un employé. Autant se montrer ferme dès le départ.

« Évitez le milady tant que nous sommes ici » précisa Mme Buckley.
Puis après que le tavernier eut déposé la bière commandée par le chasseur, elle continua : « Vous n'êtes pas sans savoir ce qu'il s'est passé il y a peu... J'attends de vous que vous m'aidiez à faire tomber... quelques têtes. Contre rétribution bien sur. »

Elle n'avait pas amené ce soir la bourse qu'elle lui destinait. Elle voulait de toute façon être sure de son choix avant de lui faire voir ne serait-ce qu'une pièce. Et puis, ça aurait été trop dangereux de se pointer ici avec son air angélique et des sous pleins les poches.

Saíréann regarda la gueuze écarquiller les yeux quand elle entrevit ses parties. Fallait croire que c'tait une prude. Qui sait, peut-être qu'il pourrait la choquer au point de voir un "o" se dessiner sur ses lèvres ? Il ricana et ses jambes furent bien vite écartées de la table. Il haussa un sourcil et regarda la dame droit dans les yeux. Il se mit de traviole et ses pieds vinrent se reposer sur la table. Il écouta attentivement ce qu'elle disait et entama sa choppe. En gros, elle voulait qu'il se charge d'une vendetta personnelle, c'était bien cela ? Tss... Trop de gens se faisaient tuer par les vilains pas beaux.

- "Si j'ai bien compris, m'dame, vous voulez que je tue celui ou ceux qui ont eu raison de votre famille ? Qu'on s'entende bien, je ne donne pas dans la vendetta, mais contre bonne rétribution... On peut d'arranger. Pour ce qui est de votre petite affaire, vous avez une préférence sur la façon d'abattre la ou les cibles ? J'vous ramène leur têtes, le coeur, ou bien autre chose ? Et pour terminer, donnez-moi un avant goût de ce que je recevrai. Mes services ne sont pas donnés, même pour une entrevue... Voyez ça comme un paiement à l'avance."

Il but le reste de sa choppe d'une traite et la tapa violemment sur la table.

- "Tavernier ! Une autre !

Spoiler:

"Ne vous en faites donc pas pour le règlement." répondit-elle en posant la main sur une des poches de sa cape.
En réalité, celle-ci était vide ; un truc de marchand. Sa bourse était cachée à un endroit où personne ne pouvait la saisir sans qu'elle ne le sache. Mais les vide-poches pouvaient toujours s'amuser à fouiller celle qu'elle venait de désigner, ils ne trouveraient pas même un morceau de peluche de tissu à se mettre sous la dent. Dans un endroit pareil, c'était une technique qui pouvait épargner bien des tracas.

" Par contre, je crois qu'on ne s'est pas complètement compris. " Un sourire naquit sur ses lèvres. Cela lui allait si bien et pourtant ce sourire-ci ne seyait pas vraiment à une personne de sa condition ; il avait un quelque chose de mauvais et de fou. Presque imperceptible.
" Mais laissons pour l'instant... " termina Morrighan en balayant de la main l'air devant elle. Elle s'accouda alors sur la table, bénissant ses longues manches, et continua d'un ton plus bas.

" J'ai entendu dire que nos assaillants n'étaient pas complètement... normaux. On parle de monstres ou de démons. Qu'avez-vous entendu à ce sujet ? En avez-vous vu en action ? "
Si on y prêtait attention, ce qui était compliqué au vu du brouhaha ambiant, on percevait un mélange de curiosité et d'inquiétude dans ces questions. La marchande voulait savoir... mais une partie d'elle craignait les réponses qu'on pourrait lui fournir. Si c'était véritablement des démons... que pourrait-on contre eux ?

EPILOGUE

Le goût de l’aventure ainsi que la confortable compensation financière proposée par Morrighan réussirent à convaincre le chasseur de se lancer dans cette quête au « monstre ».

Bien entendu, il avait entendu parler des rumeurs qui circulaient autour de soldats de l’armée anglaise : on racontait qu’il s’agissait de démons, qu’ils n’étaient pas humais, mais il n’y avait pas prêté attention jusque là, considérant qu’il ne s’agissait que de racontars de villageois cherchant à envelopper d’une aura mystique un terrible drame militaire. Les Irlandais fonctionnaient comme ça, en embellissant la réalité à coup de banshees et autres lutins au pied des arcs-en-ciel la vie devenait tout de suite plus supportable.

Enfin, même s’il venait à découvrir que tout ceci n’était qu’une vaste fumisterie, il aurait de quoi se consoler à l’aide des pièces d’ors sonnantes et trébuchantes promises par la bourgeoise.

Ils mirent au point un plan d’attaque quelques jours plus tard : ils n’étaient que deux, enfin un seul aux yeux de Saíréann qui considérant sa partenaire plus comme un boulet qu’autre chose. Mais, comme sa présence faisait partie du contrat, il imagina une stratégie qui devait permettre de la faire participer sans pour autant la mettre en danger : si elle mourrait, elle ne lui donnerait jamais la deuxième moitié de sa prime !

Le chasseur ne savait au final pas vraiment à quoi il allait avoir affaire : il préféra donc jouer la carte de la prudence et ne s’attaquer qu’un un seul homme isolé, ce qui ne serait pas une chose facile car les soldats avaient une fâcheuse tendance à se déplacer en bande, il faudrait donc en trouver un en situation solitaire… C’était là que devait intervenir Morrighan.

Saíréann avait repéré une taverne où quelques hommes aimaient venir se saouler après le service : il envoya donc la jeune femme choisir une proie et lui offrir à boire jusqu’à plus soif, en jouant la carte de la jeune veuve éplorée en manque de virilité ayant besoin des bras d’un homme –et d’une autre partie de son anatomie- pour combler ses longues soirées d’hiver…
Vu les atouts de la dame, le soldat abandonnerait volontiers ses collègues pour la suivre dans une ruelle sombre, mais en guise de fornication le seul glaive sortant de son fourreau qu’il connaîtrait serait celui du chasseur.

La première partie du plan se déroula sans anicroches, jusqu’au moment où Saíréann, pourtant chasseur hautement expérimenté se fit plaquer au sol par le soldat pourtant saoul comme un cochon : aurait-il sous estimé sa force ?
Au bout d’un corps à corps acharné, le chasseur réussit tout de même à entailler profondément la cuisse, grâce à un coup de pouce de Morrighan qui avait trouvé un moment opportun pour abattre une lourde pierre sur le crâne du soldat. Cherchait-elle à se défouler ou à lui sauver la vie ? Il ne le savait pas, en tout cas le geste était largement appréciable.

Ces deux coups combinés auraient du achever, sinon bien amocher le soldat, qui au lieu de tomber se releva, comme mû par une force nouvelle, poussant des grognements que le chasseur aurait reconnu entre mille : des grognements de bête… Il ordonna alors à la femme de s’enfuir, mais elle n’en fit rien, préférant observer de ses yeux la créature ayant anéanti sa famille.

Il faisait sombre, et le clair de lune éclairait faiblement la ruelle, cependant on pouvait nettement entendre les os du soldat craquer ainsi que ses vêtements, des rugissements bestiaux sortir de sa gueule… Saíréann ne savait pas quelle était cette créature, la seule certitude qu’il avait à son égard était qu’elle serait plus forte une fois métamorphosée qu’avant. Profitant d’un moment qui avait l’air particulièrement douloureux pour la créature, il bondit en l’air pour lui trancher net la tête, qui roula sur le sol.

Le chasseur se saisit alors de son trophée qu’il enveloppa dans un linge, avant de pousser rapidement le corps sous quelques ordures et décombres qui trainaient dans le fond de la ruelle pour le dissimuler. Il ne pouvait pas le traîner pour l’observer, c’eut état trop risqué, aussi il le cacha avec la ferme intention de revenir étudier la dépouille en plein jour, si jamais elle n’était pas repérée.

Tendant la tête sanglante emballée à Morrighan, il lui tendit également l’autre main pour réclamer son dû. Ainsi, les deux parties étaient satisfaites et purent partir chacune de leur côté avec ce qu’ils avaient souhaité : elle, la tête de l’ennemi qui avait anéanti sa vie, lui, une proie inédite à traquer.