Hunter McBrides

C’est seule que Lilianne Chamberlain accoucha. Il faisait froid dans la pièce. Ou peut-être était-ce cette perpétuelle solitude qui lui glaçait le sang.
Collée aux vitres, la neige faisait concurrence à la pâleur de son visage. Mais nul ne savait à ce moment qui allait être le vainqueur de cette compétition.
Les mains crispées sur le tapis, la femme hurla le nom de son mari et gagna.

Des flocons se remirent à tomber contre les fenêtres, comme pour consoler ce nouveau-né recroquevillé tout contre sa mère inerte.



C’est dans un environnement majoritairement masculin qu’Hunter passa toute son enfance. Il voyait son père moins de 60 jours dans l’année mais sa maison était le lieu de passage constant des Marins et des autres corps de l’armée.
Il attendait toujours avec une grande excitation le retour de son père, à l’époque, Officier de la Marine Nationale, pour écouter le récit de ses expéditions.
Ce petit marmot n’avait à ce moment qu’une envie : partir à l’aventure lui aussi.

Habitant un somptueux logement au Nord de la France, il dû très vite s’adapter et cohabiter avec, non seulement, des va-et-vient incessants mais aussi avec des militaires brutaux et pas vraiment attirés par l’instinct paternel…mais plutôt par les femmes qu’ils conviaient à des soirées très spéciales.
Les uns étaient des séducteurs, les autres des rougeauds qui cuvaient dans tout ce qui ressemblait un minimum à un évier. D’autres encore, les plus charismatiques certainement, continuaient, indifférent à l’ambiance générale, à travailler dans tout un fouillis militaire de cartes, de compas et autres neurones.

Malgré son jeune âge, Hunter, son doudou en bouche, restait dans ces soirées et crapahutait près des bureaux entre cartes marines, plans militaires secrets et morceaux de jambes d’un ancêtre de Monsieur Patate.
On ne remarquait pas sa présence, ou bien on préférait l’ignorer, excepté peut-être l’homme qui recevait régulièrement des piqûres de compas aux mollets.
Bah quoi ? Hunter rangeait bien ses jouets lui, l’autre n’avait qu’à le faire aussi.
Sans doute étais-ce cette proximité qui lui forgea une partie de son caractère.

Puis vient la crise de l’adolescence. Il se lassa du travail de son père ne supportant plus la vue des rayures bleues, ni celle du marron vieillot de l’uniforme militaire sans parler de toutes les paroles patriotiques pompeuses qui allaient avec.
Son avenir, son père l’avait déjà tracé pour lui. Mais la carrière d’officier de la Marine Nationale qui lui était destinée, il n’en voulait pas. Certes, la navigation lui faisait envie, mais il avait une toute autre idée quant au métier qu’il voulait faire.
Butin, vol, duel, piraterie : Ça, ça lui parlait. Côtoyer toute cette loyauté, tous ces ordres n’avait pas aidé.



Cependant, la naissance de la seconde guerre mondiale ne lui laissa aucun choix. A l’âge de 14 ans il sut qu’il ne reverrait presque plus son père. Et à peine 1 an plus tard il reçut cette visite brutale.
03h27 du matin. Il faisait chaud. Il n’arrivait pas à dormir. Son regard s’était attardé sur son réveil puis sur la porte qui s’était ouverte en un fracas terrible.
Tiré de son lit, extirpé de sa chambre, arraché à ses habitudes, à sa vie, c’est en pyjama et larmoyant qu’Hunter fut embarqué de force dans la guerre.

Ses débuts à la guerre furent extrêmement difficiles et insupportables. Non seulement il avait vécu la guerre de manière passive chez lui, dans ses petites pantoufles confortables avec ces militaires qui semblait tous en pleine forme et plutôt satisfaits, mais en plus il haïssait son statut.
Pour lui la guerre n’était pas terrifiante avec ses jouets à côté. Dans son imagination ça semblait bien planifié, bien sécurisé et plus intellectuel.
Sur place… C’était un enfant. Un enfant qui attendait avec angoisse et impatience son seul refuge : ces nuits de pleine lune pour s’en remettre enfin à une autre personne, un autre être.
Il fut directement envoyé dans un groupe de soldats. Connaissant sa race et devinant par là des aptitudes exceptionnelles permanentes, ses supérieurs l’estimèrent surement invulnérable. Ils se trompaient. Hunter se retrouva finalement employé pour servir les ‘repas’ aux soldats à deux pas du front.

Grâce à toutes ces nuits où il lâchait sa bête (ou la bête se lâchait) le garçon devenu jeune homme se bâtit une petite réputation. S’ensuivait donc des atrocités dont il affirme ne pas se souvenir.
Devenant de plus en plus populaire, au bout de 3 ans son nom ne tarda pas à frôler l’oreille de son père et son statut celui d’officier de la Marine Nationale.

Ce fut cette notoriété qui détruisit sa vie.


Lors d’un assaut Français pour tenter de reprendre un bâtiment, sa troupe de soldats tomba sur une embuscade et elle dû se rendre.
Prisonnier, Hunter se fit le plus discret possible, mais cela ne suffit pas. Sa popularité s’était envolée au-delà des frontières et les monstruosités qu’il avait accomplies avaient elles aussi fait du chemin.
Les nazis jugèrent bon de lui laisser la vie sauve. Cela s’avérait plus jouissif et plus instructif de se servir de lui comme cobaye. Chez eux les Lycanthropes ne courraient pas les rues.

Ainsi, ils le conduisirent en Allemagne, un endroit, où ils étaient en mesure de le torturer plus « convenablement ». Ils purent y comprendre plus en détail le fonctionnement d’un Lycanthrope, son mécanisme de défense, ses transformations, et, entre autre, expérimenter de nouvelles techniques pour violenter les prisonniers.
Evidemment ces expérimentations se révélaient très lucratives car elles ne coûtaient presque rien à la recherche puisqu’ils n’avaient nul besoin d’anesthésiants et autres douceurs.

Il est rare qu’Hunter raconte ce moment de sa vie qui s’est prolongé jusqu’à la fin de la guerre en 1945. Il ne justifie jamais l’origine de sa haine envers les humains, pourtant elle pourrait être excusable, enfin dans une certaine limite, vu son passé.



C’est muet et détruit que, de retour en France, il passa les meilleurs années de sa vie comme disent certains, à l’hôpital, à panser ses blessures tant physiques que morales. 5 années s’écoulèrent et à 25 ans il partit enfin de l’établissement.
Il ne cherchait plus rien. Sa vie ressemblait à un brouillard dont il ne voulait pas se sortir. Retrouver son père ne l’intéressait pas. Sa maison encore moins.
Il disparut le soir du 08 Juillet 1950 et pendant près de 40 ans. Des habitants disaient l’avoir croisé dans les bois ou à côté de navires peu recommandables, mais, seules les rumeurs continuaient de faire revivre son nom.


Quand Hunter réapparu, il fut différent. Ces expériences antérieures lui avaient fait découvrir une force qu’il n’avait, à sa sortie de l’hôpital, pas su gérer. Il ne se sentait pas non plus invincible, c’était une sensation bien plus particulière.
Il constatait que les gens le craignait bien plus, son physique et son charisme y étaient surement pour beaucoup.
Encore instable et ne supportant plus de voir autant d’humain, il décida de quitter le territoire Français pour celui de l’Irlande où il semblait y avoir beaucoup moins d’humains et bien plus de Lycanthropes. C’est à ce moment qu’il changea d’identité passant d’Auguste Chamberlain à Hunter McBrides. Ça sonnait bien. Quoi de plus discret pour un pays Anglophone ?

Un petit boulot sur les quais par-là, une cargaison à monter par-ci, une navigation dans un porte-container plus loin, Hunter cumula bon nombre d’emplois jusqu’au jour de sa rencontre avec Mr.Hycks, une grande personnalité de l’Industrie.
Exactement le genre de VIP qu’Hunter évitait avec soin depuis des années. Non pas qu’on en croise si facilement. Mais avec toutes ses précautions comment l’avait-il repéré ? Comment le connaissait-il ? L’avait-il espionné ? C’était trop louche. Hunter s’éloignait en général de ce genre de type comme de la peste.

Cependant, le poste de chasseur de tête qu’on lui proposait était très tentant. D’une part ce travail n’avait sans aucun doute rien à voir avec les Ressources Humaines des entreprises dites normales, d’autre part Hunter pourrait se défouler sur et/ou attraper des spécimens, s’intéresser à des personnalités inhabituelles aux particularités toutes aussi originales et surtout pourrait ne pas faire le larbin sur les quais. 4 arguments de trop pour se permettre de refuser.

Et par-dessus tout il préférait que ce soit lui qui chasse plutôt qu’un sale type sadique. Tient. Cette définition lui paraissait étrangement familière…
Ah oui c’est vrai, c’était lui-même un sale type sadique. Bien tant pis, il préférait quand même que ce soit lui.