Rhine avait faim. Elle décida donc de partir se balader à la recherche d’une potentielle victime. Elle erra un moment dans les rues de Galway, sous la pluie, observant ostentatoirement les personnes qu’elle croisait. Mais elle commençait à s’impatienter. Aucune ne paraissait lui convenir. Pour évacuer la rage qui montait en elle à cause de son envie de sang pour le moment inassouvie, Rhine choisit au hasard un jeune homme dans la rue et s’amusa à le tracer, suivant ses moindres pas à une trentaine de centimètres à peine derrière lui. Ce dernier ne mit évidemment pas longtemps à s’en apercevoir. Et dès qu’il avait le malheur de se retourner pour affronter Rhine, elle se plaisait à pencher la tête sur un côté, écarquiller les yeux et sourire d’un air machiavélique. L’homme était terrifié, cela se voyait à la façon dont il accélérait pour tenter en vain de mettre une distance entre eux. Mais Rhine le suivait toujours. Certes, la terreur de cet homme ne la nourrissait pas, mais elle avait au moins le don de l’amuser.

Quelques minutes plus tard, ils passèrent devant un bar dans lequel Rhine n’était jamais entrée. Le Bloody Valentine. Elle se dit que ce serait surement l’endroit idéal pour trouver son repas et décida alors d’y faire un tour. Mais auparavant, ne voulant pas laisser partir l’homme qu’elle suivait avec un si petit souvenir d’elle, elle lui attrapa le cou et le poussa violemment contre un mur. L’homme entomba à terre et peina à se relever.
Sans plus s’en soucier, Rhine entra dans le bar.

Elle s’arrêta un moment sur le seuil de la porte pour observer l’intérieur du lieu. Les couleurs plutôt sobres lui convinrent parfaitement. Elle esquissa un sourire et avança vers le comptoir, faisant claquer ses hauts talons sur le sol. Elle ne prit pas la peine de s’égoutter ses cheveux trempés par la pluie, laissant de petites flaques d’eau sur son passage. Elle entendit vaguement un serveur lui parler, mais l’ignora royalement et préféra aller s’asseoir sur un tabouret.

Une fois installée, elle fixa les personnes présentes une par une. D’abord, une femme vêtue de couleurs criardes. Rhine esquissa une légère grimace : pas du tout son genre. Puis une autre femme. Une rousse. Non, aujourd’hui, elle n’avait pas envie d’une rousse non plus. C’est alors que son regard se porta sur un serveur. Parfait. En y repensant, il lui revint à l’esprit que c’était lui qui lui avait parlé quelques secondes plus tôt, et qu’elle avait ignoré. Tant pis. De toute façon, à présent qu’elle l’avait repéré, elle ne risquait plus de le lâcher.
Elle le regarda dans ses yeux bleus, songeant qu’ils feraient une jolie décoration dans un bocal. D'ailleurs, le nœud papillon que le serveur portait embellirait quant à lui ce bocal.
Rhine adressa un sourire aguicheur à l'homme et lui dit:

-Bonjour. Qu'est-ce que vous servez de bon ici?

Elle avait beau sortir son plus beau sourire, celui qui faisait toujours fondre n’importe quel homme, ce serveur n’avait vraiment pas l’air réceptif. Et c’est toujours professionnellement et avec seulement un sourire poli qu’il lui énuméra la liste des boissons que proposait l’établissement.

Mais elle n’avait écouté que d’une oreille, captant au passage le mot « bloody » qui fit gargouiller sont ventre affamé. Elle déglutit à l’idée de s’enfiler un bon verre de sang chaud. Puis elle secoua la tête. Fini de rêver de nourriture. Si elle en voulait, elle allait devoir changer de technique pour que ce serveur baisse sa garde. Elle esquissa un sourire qui, de l’extérieur, devait paraître atrocement étrange, en réfléchissant à quelle veine de l’homme elle irait puiser du sang. Cette simple image la fit saliver. Enfin, elle se dit qu’il serait peut-être temps de répondre au serveur :

-Je goûterais bien un Bloody.

Le serveur partit préparer sa commande et la laissa un moment, durant lequel elle eut le temps de songer à attacher ce dernier à des ronces afin que son sang sorte par plusieurs endroits à la fois et non un seul. Elle le regarderait ainsi saigner, et peut-être lui mettrait-elle même ce joli nœud papillon dans la bouche pour compléter le tableau. Décidément, ce nœud l’inspirait aujourd’hui.
Puis le serveur se remit à lui faire la conversation, la sortant de ses sombres pensées.

- Je ne crois pas vous avoir déjà vu ici. Êtes-vous de passage à Galway ? Pour du tourisme peut-être ?

Rhine releva le visage vers lui, le fixa en écarquillant intensément les yeux, resta silencieuse quelques secondes puis, lentement, commença à étirer ses lèvres en un rictus mauvais. Sans le quitter des yeux, elle répondit :

-Oui, on peut dire cela. Pour du tourisme… culinaire, pour être plus précise.

En provenance des rues commerçantes

Kain entra dans le Bloody, toujours sa main prise en otage par la petite fille qui continuait de lui donner d'affectueux surnoms, capable à eux seul de propager d'inconfortables frissons au sein de sa colonne vertébrale.

Mais enfin ils entraient dans son établissement, et le vampire était certains que sa main aurait moins d'attrait qu'un grand verre de sang.

"Bienvenue chez moi..."

Non plus de princesse pour l'instant, le vampire avait eu comme une saturation de mièvrerie.

"Laisse moi t'installer."

Il attrapa la jeune femme par les hanches et la posa sur un des tabourets, en face du comptoir. C'est à ce moment là que le vampire se sentit, comme épié. Une sensation bien déplaisante. Aussi une fois sa "princesse" installée sur le tabouret, le vampire jeta un coup d'oeil autour de lui. Il aperçu alors tout ces employés qui le fixaient, les yeux ronds, sans dire un mot. C'est doute à se moment qu'il réalisa le spectacle qu'il était en train de montrer à ses employés, lui avec une petite fille, qui l'appelait papa... Lui le patron terrifiant que l'on détestait mais que l'on craignait plus que tout! Le voir en papa nuirait sans aucun doute à sa réputation.

"Prin... Viens avec moi je pense qu'on sera plus tranquille pour discuter de chasse dans mon bureau, et en plus tu aura accès à ma réserve personnelle de boisson..."

Rhine but son Bloody sans grand entrain, le liquide n'ayant pas un goût fabuleux dans sa bouche, encore moins en ce moment où elle criait au sang. Mais elle le but malgré tout cul sec, sans grimacer, pour en finir au plus vite avec cette boisson.

Le serveur avait l'air méfiant envers elle. Tant pis, elle devrait utiliser la manière forte lorsque ce dernier rentrerait chez lui. Malgré cette méfiance, il semblait vouloir continuer à lui taper la causette. Rhine soupira. Cette conversation, elle la trouvait ennuyante. Elle n'avait franchement pas envie de raconter sa vie à son futur dîner.

- Oh, du culinaire ? Si vous le souhaitez, je peux vous conseiller de poursuivre votre soirée dans notre restaurant. Nous servons d'excellents plats à des prix abordables.

-Non, lâcha-t-elle sans se soucier de politesse. Je ne crois pas que vous serviez ce que je recherche.

Il lui posa une autre question à laquelle elle répondit tout aussi froidement, perdant patience:

-Non, je ne cherche rien d'autre.

Elle se leva de son tabouret l'air renfrogné sans tenter de masquer sa colère, laissa des sous sur le comptoir et se dirigea vers la sortie avec un dernier regard affamé en direction du serveur.
Elle attendrait minuit que le service de ce dernier soit fini.
Au passage, elle jeta un coup d’œil à l'homme qui venait d'entrer dans le bar. Visiblement il travaillait ici lui aussi. Une petite fille étrange le suivait à la trace. Elle appelait ce dernier "papa". Rhine ne connaissait pas cet homme, mais son physique et son attitude suffisaient à comprendre qu'il n'était pas forcément fait pour être père, ou qu'il n'y était pas habitué. Elle soupira une nouvelle fois. Pour elle, les enfants ne servaient qu'à être mangés. Elle haussa les épaules et quitta le bar.

Le long des rues elle n'avait pas été très calme, mais pas spécialement enquiquinante non plus. D'une démarche sautillante elle avait commenté deux-trois choses qu'elle voyait, examinant surtout papa et tentant, vaguement, d'essayer de deviner ses goûts personnels avec la subtilité d'un tractopelle, armée de question type « tu trouves ça joli ou non ? » ou « et au fait ça ça t'intéresse ? », puis le bar s'annonça.

Aussitôt entrée, la gamine s'exclame.
- Chiadée la déco !
Ce qui, avec sa voix haut perchée et son ton de mouflette fait se retourner quelques personnes. Qui oserait emmener une môme dans un bar comme celui-ci ? Mais Uma, qui est aussi imperméable à la honte qu'elle est incapable d'accorder les couleurs, se fend d'un grand sourire malicieux et fier, levant haut le nez tellement elle est heureuse de s'afficher avec Papa. Et l'un dans l'autre, d'afficher Papa tout court. Là, son père l'installe sur un tabouret, et si leurs mains se décrochent enfin, elle, elle est bien contente, et commence aussitôt à tourner dessus avec un petit couinement joyeux que seules les adolescentes et les bichons maltais savent faire.
- Hé dis papa, on fait quoi maintenant ? On mange quand au fait ? Hé dis t'as des strip-teaseuses dans ton bar ? Hé ! Papa ? Paaapaaa ?
Papa ne l'écoute pas. Papa scrute la salle avec une drôle de tête. Elle, elle a arrêté de tourner sur son trône de princesse à son daron, mais, les deux mains sur le coussin, les fesses décalées, penchée en avant, elle bat des jambes et les cogne régulièrement sur le pilier du tabouret, pour jouer, ce qui termine de rendre sa présence au delà de l'évidence. Elle le regarde avec de grands yeux tous ronds, puis agite le bout du nez. Son ton est plus calme d'un coup, mais elle recommence à se dandiner.
- T'es pas un peu du genre instable 'Pa ? Elle saute de son perchoir. C'est pas grave moi aussi. Grand sourire qui laisse pointer ses crocs certes rétractés, mais toujours assez visibles malgré tout. Dis si t'as pas de strip-teaseuse t'en embauche quand ? Elle est où ma chambre ?
Elle tourne encore sur elle même, étendant les bras, et filant de gauche à droite au travers de la pièce, suivant ou précédent son père, ça dépend. C'est une explosion de couleurs à côté de son père tout blanc, ça fait du rouge, du vert, du rose, du bleu, qui s'agite et qui rigole, et qui lui attrape la main de temps en temps pour se servir de lui comme centre de ses petits tours.
- Hé dis je peux avoir un chat ? Promis je le mange pas. Et puis on y va quand à la chasse ? Avant ou après que j'ai vu ma chambre ? Moi je préfère presque avant ! Tu veux que je te fasse des dessins ?
Et elle continue de tourner, tourner, tourner...

La soirée s’annonçait plutôt tranquille alors que la nuit commençait tout juste à tomber. Le Bloody n’était pas bondé, aussi les employés en profitaient pour discuter un peu entre les différents clients qui passaient au bar ou dans la partie restaurant. Terminant de servir un habitué de l’endroit, Charlie en profita pour passer un petit coup de chiffon sur le bar tout en discutant avec un collègue de la meilleure façon de préparer un martini, citant le célèbre agent secret britannique pour plaisanter

C’est alors que le boss entra dans l’établissement, ce qui d’ordinaire aurait presque pu passer inaperçu… presque sachant que les employés craignaient très certainement autant leur patron qu’un enfant le monstre sous son lit, alors ils avaient l’habitude de le repérer et de loin. Seulement, ce soir on frôlait la quatrième dimension. Le patron arrivait main dans la main avec une enfant… Les habitués se retournait sur leur passage, les employés s’étaient tus et tous les regardaient avec cet air de faire un grand ‘’what the fuck’’ à l’univers.

Ils étaient tous figés sur place alors que le vampire et l’enfant approchaient des tabourets à l’autre bout du comptoir où travaillait Charlie. Tout se passa extrêmement rapidement. Sautant très vivement aux conclusions qui s’imposaient à elle, blêmissant de stupeur, l’anglaise ne pouvait qu’imaginer le pire ! Le psychopathe enlevait maintenant des enfants ! Pour en faire quoi ?! Les tuer ? Les transformer pour en faire ses marionnettes ? Ou pire ?! Et la jeune fille sautillait innocemment aux côtés de Kain, ne se doutant d’absolument rien. Il fallait faire quelque chose ! Ne réfléchissant pas le moins du monde, Charlie posa rageusement son chiffon sur son épaule et allait se diriger droit sur eux pour affronter cet ordure, lorsqu’elle entendit la gamine appeler la sangsue ''papa''… N’entendant pas la suite de la phrase et des questions sur les strip-teaseuses, la blonde s’immobilisa de nouveau, incapable de faire le moindre geste tant la situation était surréaliste, encore plus sous le choc qu’auparavant.

Papa ?! Il l’avait manipulé pour lui faire croire que c’était son père ? Mais il était encore plus malsain et psychopathe qu’elle ne le songeait jusqu’alors ! Un dérangé de première, c’était le diable en personne qui jouait avec une enfant avant de lui faire des choses innommables. Faisant un demi-tour sur elle-même, Charlie repéra un petit pic à glace dans l’évier plus loin, l’idée ne fut pas longue à germer dans son esprit, pas question de laisser un tel crime se produire sous ses yeux, mais pourrait-elle vraiment espérer réussir à faire quoi que ce soit contre Kain ? Même armée ? Les autres employés étaient peut-être terrifiés à l’idée d’affronter Kain, mais bon sang il y avait peut-être la vie d’une jeune fille en jeu !

Seulement, avant que l’anglaise ne puisse faire ou envisager quoi que ce soit, la petite parla de nouveau et offrit un grand sourire à son ''paternel''. C’est alors que Charlie remarqua… Passant par un réel ascenseur émotif, la jeune femme était tout simplement bouche-bée… Prenant légèrement appui sur le comptoir, son inquiétude maladive et suicidaire s’était complètement évaporé pour faire place à une curiosité malsaine et à un effarement total. Les observant de loin, son cerveau n’arrivait pas à tout assimiler. Il se passait quoi là au juste ? C’était vraiment sa fille ? Il était vraiment son père ?
Avant même que Charlie ne puisse cligner des yeux, Kain décidât qu’il y avait trop de regards indiscrets et invita sa pseudo progéniture dans son bureau. Ils partirent comme ils étaient venus, la gamine tournoyant autour de lui et lui posant des questions, agissant parfaitement comme une enfant l’aurait fait, même si c’était une enfant différente...

Charlie se retourna vers son collègue qui lui aussi semblait être dans le même état de perplexité extrême qu’elle.

- J’ai eu une hallucination ou quoi ?

Le dit collègue déglutie avant de se remettre au boulot tout en confirmant à l’anglaise qu’au moins elle n’était pas seule dans ce qui se rapprochait le plus d’une l’hallucination collective que de la réalité. Ou du moins, de ce qu’il était le plus simple de croire…

- On est deux alors.

Kain avait normalement un bon instinct. Plusieurs fois ça lui avait sauvé la mise.Souvent il s’était fié à son ressenti, et souvent il n’avait pas regretté. Sauf qu’aujourd’hui, perturbé par la jeune fille, Kain n’avait pas franchement écoutait son instinct quand il avait décidé de l’emmener au Bloody Valentine, encore moins quand il l’avait poser sur le tabouret…

Entre le bruit que la petite vampire faisait, tournant sur elle même, entre les questions qu’elle posait, et le fait de l’appeler papa… Kain regretta rapidement son idée.

Il eut même l’impression qu’il faisait fuir des clients, quand une femme se redressa pour quitter le lieu, passant juste à coté d’eux… une belle femme qui plus est, le vampire se serait bien attardé à discuter avec elle… Mais il devait bien l’admettre, avoir une gamine à coté qui l’appelait tout le temps papa n’était pas vraiment un atout de séduction…

Son serveur, Elliot, ainsi et surtout Charlie sa barmaid, le fixaient sans dire un mot. C’était assez mauvais signe, vu leurs états il devaient avoir compris qu’il ne s’agissait pas d’une cousine ou d’une amie immortelle, de toute façon s’ils en doutaient la façon dont la jeune fille parlait était suffisamment clair pour effacer toute ambiguité.

Tenant de ne pas lui répondre tout de suite afin de ne pas alimenter le discours, sachant pertinemment qu’une fois remis de leurs émotions ses employés n’hésiteront pas à se servir de ce qu’ils ont vu…
Il devait donc quitter le lieu le plus rapidement possible, afin de ne pas aggravé une situation qui pour le vampire était assez périlleuse…

« Suis moi. »

Se contenta-t-il de dire à la fillette vampire alors qu’il se dirigeait vers son bureau.

vers le bureau de Kain