Rapahaël Filangieri
Sexe:
Masculin
Lieu et date de naissance:
Taormine, Sicile, 17 janvier 1966
Race:
Humain
Apparence physique:
Raphaël produit sur les gens une impression étrange. Il dégage cette impression diffuse de force et d'immobilité, de silence quasi palpable, que l'on peut ressentir à proximité des vieux arbres ou des pierres; on le décrirait monolithique, noir, sinistre, aussi. Un peu brutal dans sa silhouette haute et large, ses poings noueux couverts de tatouages à demi effacés, son maintien est raide et droit, sans faille. Mais cette brutalité latente, cette violence qui semble couver en lui semble un peu émoussée par le temps. Les arêtes, les aspérités, les ténèbres, érodées par les années et cette lassitude qui l'enveloppe comme un linceul. Raphaël est le dernier chêne à demi-mort d'une ancienne forêt, un vestige du passé, une ombre chinoise qui ne semble dans son élément que dans la pénombre d'une église, auprès des cierges et des crucifix.
Il a le regard lointain, souvent. Parfois d'une acuité terrible, de cette insaisissable couleur variant entre gris et noir, brun et vert, taché au centre de l'iris par une corolle sombre. Regard millénaire de vieillard qui en a trop vu, serti dans une face sans âge, façonnée de marbre sombre aux traits usés, bleuie par cette barbe légère qu'il ne prend pas le temps de tailler. Des rides précoces, des ombres profondes. Le modelé abrupte et émoussé de l'écorce d'un vieux chêne, et au sommet, une épaisse chevelure noire qui ruisselle, parfois jusqu'aux épaules pour achever le tableau et noyer le visage dans une cascade de ténèbres. Cheveux déjà blanchis, aux tempes, où de vénérables fils d'argent rappellent que le roc n'est plus tout jeune, rappellent toutes les averses, toutes les tempêtes qu'il a traversées.
L'habit clérical lui va comme un gant, toujours du noir, plus ou moins passé. Vieilles chemises de tweed sombre, manteaux interminables, godillots usés, soutanes couleur d'encre. La garde robe monastique d'un homme de Dieu, sans la moindre touche de couleur, la moindre fantaisie, aussi brut de décoffrage que semble l'être son propriétaire. Cependant, dans ces océans d'obscurités tissées, deux éclats de lumière. L'argent vif et pur d'un crucifix à son cou, oeuvre admirable, ciselée avec le plus grand soin, supportant le corps tourmenté du Sauveur attendant la mort; et puis, glissé sur l'index gauche d'une des longues mains noueuses, une chevalière. Un cercle de simple laiton, frappé d'une croix. Rien de plus que ce petit anneau, brillant d'un feu mat, rappelant au sicilien sa pénitence, et le pourquoi de sa présence ici.
Raphaël correspond plutôt bien, au final, à ce qu'on attend d'un soldat du Christ, formé à la vieille école. Rude, silencieux, l'allure brutale. Usé aux entournures comme ses vêtements délavés, boitant un peu, traînant la patte quand la fatigue se fait sentir. Les blessures du passé sont encore vivaces, et une jambe mal soignée le fait encore souffrir, lui interdisant tout effort trop important, mais ce n'est pas la seule cicatrice qu'il arbre. Son dos, ses bras, outre divers tatouages de taulard, portent les stigmates d'une vie mouvementée dont personne ne sait rien. Pour ça, il faudrait le mettre littéralement à nu, ou plus improbable encore, le faire parler.
Signes distinctifsUn corbeau un peu passé est tatoué sur le haut de son dos, les ailes déployées; il a également des motifs sur les mains, qu'il cache ordinairement avec des gants, et une vilaine boursouflure lui barre le côté droit, jusqu'à la cuisse.
Le caractère de Raphaël colle bien à l'apparence: c'est une montagne de silence. Sombre, peu loquace, souvent pensif, cette apparence de calme olympien, un peu froide, un peu stricte, cache quelque chose. Son passé tourmenté. Sa mémoire. Un cimetière. Si l'on gratte un peu la façade marmoréenne de cet imposant sicilien, on ne trouve pas grand chose. Des débris, le passé omniprésent et les fantômes, ces trois femmes qui ont fait sa vie et l'ont détruite.
Angelina, l'ange damné, pâle et frêle image enfiévrée des vestiges d'un amour défunt. La Sainte, celle qu'il cherche dans les yeux de toutes celles qu'il croise, des putains aux madones.
Et puis Féderica, omniprésente, toujours rôdant aux confins de son être. La Femme. Un rire aigu, un sourire aguicheur, l'ombre d'un regard acéré, la haine qui se tapit dans les prunelles fauves d'une coquette, comme une ombre au tableau, qui se dessine chaque fois qu'il pose les yeux sur une femme. L'éternelle haïe. Gare à celle qui lui ressemble, de près ou de loin. Du cimetière de son être, Raphaël tire d'étonnantes colères, aussi dévastatrices que des ouragans. Il n'y a de meilleur terreau pour la haine et la rage que celui d'une douleur aussi ancienne et aussi profonde...
Enfin, il y a Esperanza. L'aimée, la chérie, cette luciole trop vite évanouie. L'écho de son rire ne cesse de tourmenter celui qui avant d'être berger avait été père, et chaque enfant, à ses yeux, a en lui un peu de l'enfant rieuse qu'elle avait été. Une boucle de cheveux noirs, le reflet d'un regard, une intonation de voix. Elle est partout.
Raphaël est prisonnier de son propre passé, comme s'il avait cessé de vivre au moment où elles étaient mortes, que par la suite il s'était laissé aller au gré des courants; il y avait eu la colère, la rage brûlante qui montait des profondeurs les plus intimes de son être pour éclore en une violence hargneuse et dévastatrice. Et puis la lassitude, lorsqu'il avait échoué à bout de forces, attendant la mort, et la fatigue du monde et de cette existence devenue prison, à laquelle il était condamné. Depuis, tout s'est arrêté. Le silence s'est fait en lui, et son apparence imperturbable clôt, comme une pierre tombale, le gouffre de sa dévastation. Tout est retombé au-dedans, comme la poussière dans un très ancien tombeau, comme les débris au fond d'une eau profonde. Il suffit d'un souffle d'air, d'un courant léger, pour tout remuer, mais peu de choses arrivent encore à percer les murailles, les fortifications de fer et de glace qui séparent à présent Raphaël du reste du monde.
Il ne montre rien, par fierté: prêtre, ex-taulard, ancien paumé, il n'en reste pas moins un aristocrate sicilien de la vieille école, rétrograde, misogyne au possible, orgueilleux comme pas deux. Une fierté qui le pousse à ne montrer aucune faiblesse, à rester droit quand il souffre, à ne pas broncher. Son éducation religieuse et nobiliaire lui a également inculqué un sens des valeurs et de l'obéissance qui semblent tout à fait déplacés dans notre monde où tout semble permit; il est d'une rigueur extrême, pénitent pour toujours, comme si à ses yeux tout n'était que perdition. Pourtant il n'en reste pas moins humain, si l'on fouille sous les cendres et la poussière d'os; têtu, raide et sévère, il peut aussi se montrer compréhensif et amical, surtout envers ceux qui souffrent. Qui mieux que lui, pétri de douleurs, de deuils et de perdition, peut comprendre les âmes en peine?
Il était une fois. Ça commence toujours comme ça, et ça avait bien commencé pour Raphaël, né comme on dit avec une cuillère en or dans la bouche. Issu de l'antique aristocratie sicilienne, sa famille avait survécu, tant bien que mal, aux soubresauts de l'histoire, en s'aggripant becs et ongles à son lopin de terre aride et ses orangers plantés près de Taormine, en Sicile. On disait d'eux qu'ils faisaient partie du paysage, que leur sang était mêlé de la poussière jaune de ces terres désolées, sur les collines autour de la ville. On disait d'eux qu'ils étaient venus avec ceux qui avaient fondé la ville, au temps de Rome. On disait d'eux beaucoup de chose.
Unis par un mariage arrangé, Pietro Filangieri et sa femme Artemisia s'étaient aimés, un peu; elle lui avait donné un héritier, et ils vivaient en bon voisinage, sans trop s'occuper des affaires de l'autre. Tout allait pour le mieux mais comme un signe, une funeste prophétie qui laissait entrevoir l'avenir de Raphaël, sa mère mourut peu après sa naissance. Un staphylocoque malin, une bactérie qui traînait dans un couloir de la maternité, et la jeune accouchée en mourut de fièvres. Et Pietro se remaria peu après, la vague à l'âme, se consolant comme il pouvait auprès de la belle femme de chambre de feu son épouse, une ambitieuse florentine nommé Féderica. Celle-ci avait les dents qui rayaient le parquet et les ongles qui raclaient les tiroirs, rongeant son frein en attendant de succéder à sa maîtresse dans le lit du vicomte. Féderica haïssait tant le souvenir d'Artemisia qu'à peine installée, elle entreprit d'effacer tout souvenir d'elle dans la maison. Elle commença par Raphaël, qui ressemblait bien trop à son goût à la défunte vicomtesse, et décida de lui mener la vie dure. Sans raison, elle nourrissait pour l'enfant une haine inexplicable à la mesure de celle avec laquelle elle poursuivait et détruisait tout ce qui pouvait encore rappeler la morte; Raphaël ne se laissa pas faire, et dès qu'il fut en âge de répondre aux brimades de sa belle-mère, ne s'en priva aucunement. Ce fut une terrible guerre domestique qui l'opposa à elle, une guerre à laquelle Pietro ne prit part que bien tard, étant souvent au loin pour ses affaires, et déjà lassé de la hargne avec laquelle Federica pourchassait son fils.
La nouvelle maîtresse de maison s'empressa également de donner à son époux d'autres et nombreux héritiers, et de les pousser à prendre la place de leur aîné dans le cœur de leur père. Les rivalités, les disputes, et la violence grandissant de Raphaël poussa Pietro à l'envoyer, alors qu'il avait à peine dix ans, dans un pensionnat huppé, à Rome. Il y resta plus de dix ans, et au collège religieux succédèrent le lycée, les études en université de théologie... Raphaël s'en satisfaisait, étant très pieux, depuis son plus jeune âge; mais Pietro avait d'autres projets pour son aîné qui se devait de faire fructifier l'héritage familial, et surtout de se marier afin que la lignée ne s'éteigne pas, et que ce ne soient pas les enfants d'une rotutière qui portassent le titre de vicomte. La pureté du sang lui tenait à cœur; n'était-ce pas ainsi qu'ils avaient pu maintenir leur lignée malgré les guerres et les révolutions? Il avait peut être épousé Féderica, mais ce n'était que pour la gaudriole, il lui fallait quelqu'un à qui transmettre le titre. Et il n'y avait que Raphaël.
Les dix ans que ce dernier passa à Rome furent sans doute les plus belles années de sa vie, les rares où il fut heureux. A ses yeux, la Ville Eternelle était la cité de toutes les merveilles, de tous les savoirs. Il se passionna pour la littérature, les langues, l'art, l'histoire... Il étudia la théologie parmi les jésuites, et, bourreau de travail, consacra sa jeunesse à l'étude et au savoir. Raphaël n'était heureux qu'en compagnie de ses aînés, dans les oeuvres du passé, à lire ou à réfléchir. Point de jeunesse pour le garçon silencieux et rêveur, qui avait la douceur innocente de ceux qui ne côtoient guère le monde ordinaire; il avait déjà cependant un sacré caractère, et gare à celui qui le prenait pour un idiot faiblard, plus d'un de ses camarades se ramassa une châtaigne pour s'être frotté de trop près au jeune sicilien.
Il cherchait la solitude, et la trouvait sans peine; brillant élève, il faisait la fierté de ses professeurs, survolait les années de classe et ne vivait que pour le savoir, pour la religion, pour tout ce qui brûlait en lui d'être assouvi.
Étrange vision, parfois, de ce jeune homme posé, calme et poli, qui passait parfois tout vêtu de noir avec sa Bible sous le bras, et qui des heures durant dévorait d'antiques ouvrages dans les parcs ou les bibliothèques. Certains auraient dit qu'il était passé à côté de sa vie, à côté de sa jeunesse, mais c'était sa manière à lui de grandir, dans la paix, fuyant le monde et la foule. Il était plus que timide, renfermé, secret; pas sans amis, cependant, mais ceux-là le comprenaient guère, tout juste étaient ils des connaissances que Raphaël supportait assez pour les fréquenter régulièrement.
Il en fut de même pour les filles, amourettes furtives qui lassaient vite le jeune homme; elles lui semblaient fades, sans esprit et banales à pleurer, et pas une ne le retint bien longtemps. Raphaël rencontrait, à son grand étonnement, un certain succès; peut être que son calme naturel avait quelque chose de rassurant, que certaines avaient voulu percer à jour cet être si secret, s'approcher suffisamment de lui pour frôler de leurs doigts l'ombre de son cœur... Toutes avaient échoué. Il avait l'impression d'être né à la mauvaise époque, étranger à tous, sauf aux anciens; mais ce n'étaient là que des errements d'adolescent, et les années passant, il abandonna un peu sa vie monastique pour découvrir la vie des autres, celle qu'il avait fuie auparavant.
Atteignant ses vingt ans, il fut obligé de repartir pour Taormine. Son père était mourant, mais Raphaël ne fut pas prévenu assez tôt pour assister à son dernier soupir. Tout juste put-il être là pour son enterrement, avant que le devoir ne le rattrape... Il trouva le domaine dans un état déplorable, et Federica qui régnait en maître sur la maisonnée; elle n'avait pas jugé utile de le prévenir de la maladie de Pietro, qui avait confié la gestion des affaires à son épouse. Celle-ci avait rapidement dilapidé une grande partie de la fortune familiale, et tout allait à vaux-l'eau dans la maison. Raphaël fut atterré de voir qu'elle avait vendu une partie de leur patrimoine, et s'était débarrassé de tout ce qui lui avait appartenu, y compris cette antique édition de Roméo et Juliette à laquelle sa mère avait tant tenu, et qui avait été une des rares choses que Pietro avait réussi à garder hors des atteintes de sa seconde épouse.
Il fallut des efforts considérables pour redresser la barre; Raphaël abandonna ses rêves de religieux, et se conforta à ce que son père souhaitait de lui, reprenant la charge de vicomte, s'empressant de trouver une épouse. Et il trouva, oui, et quelle épouse! Angelina Casaviecchi était riche, très riche, et descendait elle aussi d'une lignée aristocratique; Raphaël l'aima follement, la courtisant avec une étonnante ardeur. Les épousailles ne tardèrent pas, et, à nouveau, il fut heureux. Marié, il fit la paix avec Federica et ses demi-frères avec qui la rivalité semblait s'être apaisée considérablement. La veuve apaisait son chagrin, et gagna vite l'affection et la confiance de la fragile Angelina.
Quelques années après leur mariage, elle mit au monde une petite fille, Esperanza, et jamais jours ne furent plus heureux pour Raphaël que ceux qu'il passa en leur compagnie, sous les orangers de Sicile et les étés rougeoyants. Jours irréels, la menace écartée. Féderica se taisait, il croyait enfin avoir écarté le serpent qu'elle était, avoir apaisé le poison qu'elle crachait à tous les vents depuis qu'elle était entrée dans sa vie. Le jeune vicomte partageait son temps entre la gestion de ses affaires et les études qu'il poursuivait encore durant ses moments de libre, et tout y passait. Science, art, théologie, tous les savoir passaient à la moulinette de sa soif de connaissance.
Tout semblait aller pour le mieux, mais les absences se prolongeaient, voyages, études, séminaires, enseignements. En son absence, la ruine déjà se profilait. Federica n'avait que mit un terme provisoire à la haine qu'elle vouait à son beau-fils. Elle cessa d'agir ouvertement, voyant qu'il était inutile d'attaquer Raphaël de front, et commença par détruire, petite à petit, ce qui lui était le plus cher: Angelina. Celle-ci était une femme fragile tant physiquement que mentalement; de santé délicate, timide et dépressive, elle était comme un fantôme, une fumerolle, aussi évanescente et aussi pure. Toute aussi fragile.
Féderica n'eut guère besoin d'efforts pour saper toute sa confiance en elle; petit à petit, lentement, comme un poison insidieux, elle prenait l'ascendant sur sa belle-fille, la détruisait, la rongeait de l'intérieur. Et fut suffisamment habile pour ne pas éveiller les soupçons de Raphaël, qui, suffisamment occupé ailleurs, s'éloignait de plus en plus de sa femme, influencé sans le savoir par les paroles assassines de Federica.
Cela dura des années. Cinq, à vrai dire, avant qu'Angelina ne cède, et ne se jette du dernier étage de la demeure; comment pouvait-on soupçonner la veuve de Pietro, qui avait si souvent veillé la jeune femme, qui était sa confidente, son amie, sa protectrice? Mais personne ne pouvait deviner quels mots, quel poison la marâtre inoculait à sa victime, personne ne savait que c'était son ombre qui terrorisait Angelina dans ses cauchemars. Personne ne pouvait savoir que la cause du mal, de ce qui rongeait la pauvre femme jusqu'à la folie, l'accusant de tous les maux, c'était Féderica.
Et ce fut Raphaël qui découvrit son corps sanglant, disloqué, comme un papillon blanc qui s'était envolé une ultime et fatale fois.
Ses yeux étaient ouverts dans la mort, et leur regard vide, désespéré, accusateur, ne devait plus jamais quitter la mémoire de son époux inconsolable. Elle était plus belle encore dans la mort, sa pureté figée par un gel soudain, rendue à l'éternité lorsque son dernier souffle avait quitté ses lèvres froides.
Raphaël n'avait jamais autant pleuré qu'en ces jours de peine où il erra, ne trouvant de réconfort qu'en la présence de son enfant. Esperanza était la vivante image de sa mère, si semblable, belle comme elle et si vive, si joyeuse... Mais elle fut comme une luciole vacillante, comme les premiers feux d'un jour d'hiver avorté par un crépuscule soudain. La dernière entrave qui empêchait Federica de détruire totalement la vie de Raphaël, c'était elle, cette petite fille qui aimait tant sa grand mère, et qui avait toute confiance en elle, cette fatale certitude qu'elle ne pourrait jamais lui faire de mal.
Ce qu'elle fit sans tarder, savourant à l'avance sa victoire sur son beau-fils; elle avait gagné, mais à un point qu'elle ignorait sans doute. Celui-ci dut tenir dans ses bras le corps étranglé de son enfant pour se rendre à l'évidence: Federica n'était pas si repentie qu'il le pensait. Elle était la dernière à avoir vue la fillette en vie; elle était celle qui l'avait tourmenté autrefois, et les rumeurs, dieu, les rumeurs! Tout semblait l'accuser. On savait. On se doutait de quelque chose. Raphaël tenait cela pour racontars de bonne femme, mais la vérité était aussi implacable que le sort qui avait frappé sa femme et son enfant. Il y eut une ultime dispute entre eux; Federica se défendit, mais elle avait, dans son plan, omis une chose. Il n'y a rien de pire, pas d'adversaire plus acharné que celui qui a tout perdu, que le chagrin ronge jusqu'à l'os et qui tient entre ses mains le responsable de son malheur.
Entre ses mains, oui... Il la tua comme elle avait tué Esperanza, serrant ses doigts autour de ce cou honni, coupant le souffle, jusqu'à ce qu'elle ne soit qu'un tas de viande morte, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus Federica, mais rien qu'un corps vide, la coquille d'un insecte écrasé. Il avait hurlé. De douleur, de joie sauvage, de désespoir, priant pour la mort, la délivrance, un espoir. Mais rien de tout cela n'était venu et l'aube s'était levée, grise, mouillée de larmes; rien depuis ce jour n'avait apaisé la douleur qui le rongeait, la culpabilité qui l'habitait, celle ne n'avoir rien vu, rien fait, d'avoir laissé perdre l'âme d'Angelina, d'avoir été sourd à ses appels et de l'avoir fait souffrir par son indifférence.
Il partit. Vicomte toujours, mais d'une terre de fantômes: c'étaient ses demi-frères qui possédaient les richesses, lui n'avait plus que le titre, en souvenir de son père. Il partit. Loin, longtemps, fuyant sans cesse la mort, la mémoire, le souvenir et les regrets qui le poursuivaient comme autant d'oiseaux sortis d'une fatale boite de Pandore.
Il voyagea, se perdit, chercha la mort dans l'alcool, les cigarettes, les drogues, les bras des putains sans nom qu'il rencontrait parfois, oubliant dieu et le monde entier. S'il fit couler le sang, ce fut pour les mêmes raisons, pour calmer la colère qui brûlait en lui comme un feu de joie et qui rongeait chaque parcelle de son être. Un être? Des débris. Une épave. Il tua. Il souilla ses mains, se damna cent fois, et toujours la mort se refusait à lui, le forçant à goûter jusqu'au bout l'amertume de son sort. La déchéance. Longue, elle lui parut sans fin; il perdit toute notion du temps, il perdit tout, jusqu'à ce qu'il n'ait qu'à se laisser tomber dans le caniveau pour mourir...
Et puis vint une aube. Timide, certes, mais un peu de lumière, une luciole, pas tout à fait une révélation; et il se raccrocha à cela comme à une bouée de sauvetage. Naufragé de la vie, il avait enfin aperçu une main secourable tendue par ce franciscain qui, faute de soigner les corps, prenait soin des âmes de quelques paumés, drogués, et clochards qui zonaient dans un quartier mal famé de Rome. Il prit Raphaël sous son aile, l'écouta; l'apprivoisa à nouveau, et, comme un père, le guida sur des routes qu'il n'avait plus empruntée depuis des années. Il fallut beaucoup de désintoxications, de prières, de séjours en monastères et de retraites silencieuses pour tirer Raphaël de ce bourbier infâme, du caniveau de l'existence; mais il y parvint, comme un miracle. Il fallut beaucoup de piston, aussi, pour passer sous silence un casier judiciaire peu flatteur, et pour qu'il puisse à nouveau reprendre son cheminement là où il l'avait arrêté. Car au bout du compte, à défaut de mourir, Raphaël désirait quitter le monde des Hommes pour rejoindre celui où il n'y avait que le silence et la prière, celui qui promettait, à toute fin, l'absolution.
Il rentra dans les ordres, enfin, après s'être égaré sur maintes routes souvent glissantes; un voeu exhaussé, des années après. Les années passèrent encore, dans le silence, et puis le souvenir du vieux franciscain revenait parfois chatouiller l'entendement du sicilien devenu moine. Raphaël, après une longue retraite, éprouva de nouveau le besoin de revenir dans le monde des hommes, à présent qu'il avait laissé derrière lui tout ce que son existence avait eu de charnelle et d'impure. Revenir auprès de ses frères, pour les guider vers le Salut, comme on l'avait fait pour lui. Tractation après tractation, il fut ordonné prêtre. Mais l'ardoise n'était pas pour autant lavée, et en guise d'épreuve, on l'envoya, missionné par le Saint Siège, dans cette contrée lointaine que l'on disait nid à sorcières, à choses du Malin, avant-poste de l'Enfer sur Terre. Du boulot en perspective, pour le curé nouvellement ordonné, mais cela ne le fit pas reculer pour autant. Peut être qu'il n'y croyait pas lui-même, peut être aussi qu'il s'attendait à tout... Sauf à ça.
Et puis, étrangement, si ce n'était quelques rencontres étranges au détour d'un café ou d'une promenade, Galway ne ressembla pas tant que ça à l'Enfer sur terre. Les gens étaient calmes et polis comme partout ailleurs, et, sans doute parce que Raphaël fit preuve d'une prudente discrétion, il ne fit guère de vagues et passa ses premiers temps en ville de manière assez paisible. L'incendie du Zombillénium l'inquiéta un moment, car cette profitable couverture pour la ville risquait de pousser les créatures à s'enterrer un peu plus et à devenir plus discrètes.
Il n'en fut rien évidemment, mais lui ne s'en douta pas. Dans les recoins de son église il gardait ses armes au frais, attendant de pouvoir s'en servir. Quitte à se dresser contre le monde entier, quitte à faire face à la Horde et à tout l'Undertown, il accomplirait coûte que coûte la mission qui était la sienne.
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Le JDR et vous? Idylle récente ou vocation de longue durée?je pratique assidûment depuis sept ans, même si mon inspiration et mon temps libre ne suivent pas forcément la cadence que j'avais il fut un temps. À cause de mes études et de mes petits soucis quotidiens j'ai du mal à poster régulièrement, mais promis juré, je ferais un effort.
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