Ces temps de guerre étaient éprouvants. Et c'était parfaitement le mot qui convenait, car Dieu les éprouvaient en leur âme et en leur corps. Au fur et à mesure que les malheurs s'abattaient sur la ville, on voyait des gens s'élever, d'autre abandonner ou tomber avec grâce. Mais certain, oui certain brillaient d'un éclats vénérable ; des martyrs, des héros, des exemples de fois. Plus encore que la préparation de ses sermons, c'est ses prières qui lui prenaient le plus de temps. Il priait tout les jours pour ses ouailles, certaines fois il priait pour une seule personne en particulier, puis une autre, puis une autre. Il demandait au seigneur le réconfort pour les enfants et le courage de supporter les épreuves en bon chrétiens pour les parents, la miséricorde pour les pêcheurs et la reconnaissance pour les vertueux, l'amour pour les endeuillés et la sérénité pour les anxieux.

Comme à son habitude, il était dans une vieille robe de bure qui semblait l'avoir accompagné toute sa vie. Ce sont encore quelques prières qui avaient conclut la rédaction des lignes directrices de son sermon. S'il savait bien improviser, et s'il était très bon à cela, il devait néanmoins garder en mémoire là où il voulait mener ses brebis égarés. Il rédigeait ses sermons en fonction des discussions qu'il avait eut avec les fidèles durant la semaine. S'il constatait beaucoup de décès, il n'hésitait pas à décrire avec précision les visions qu'avaient eut les plus grand disciples du seigneur concernant l'éden paradisiaque. S'il voyait que la tendance générale était à la perte de foi et au relâchement, il rigidifiait sa parole à force index pointé. S'il se rendait compte que les gens étaient en colère, il parlait des créatures du mal pour soulever leur indignation.

Demain, il parlerait des créatures du mal. Il parlerait de ces suceurs de sang et de ces mangeurs de viandes. Il décrirait la vie tout à fait normale qui avait été celle de leurs ennemis, comment ils avaient étés transformé en suppôts de Satan à leur insu et, enfin, comment il s'étaient totalement abandonné - et ce de leur plein gré - dans la perdition. Bien qu'il fut rare qu'il ne parlât de loups-garous ou de goules, il savait parfaitement choisir le moment pour cela et faisait toujours sensation. Cependant, il ne s'imaginait à aucun moment manipuler les gens. Il se voyait exactement comment l'église entendait les prêtres : à la fois père et bergers ; il donnait un coup de main à celui qui en avait besoin, qu'importe quoi, et donnait, dés qu'il le pouvait à manger à ceux qui en avaient besoin.

Le fumer du repas arrivait aux narines de Tomas. Sans doute s'agirait-il encore d'une soupe à l'huile et aux onions ; peut être serait elle même éclaircie à l'eau. Mais en ces temps difficile, il ne fallait pas espérer plus, et il était, de toute façon, satisfait de son maigre confort : ce qu'il avait en moins ne serait pas retiré à ce qui n'avaient déjà presque rien. Il ferma sa bible d'où dépassaient des feuilles de divers arbres en guise de marques-page : feuille de chêne pour les Corinthiens, feuille de vigne pour les épitres de Paul, feuille d'olivier pour pour Luc...

Il se rendit dans la salle de séjour, son livre toujours à la main, et s'assit en attendant que sa servante Maura vienne le rejoindre à table. Il en profita pour prier.

"- Mon père, pensez-vous qu’il serait possible de transformer le petit lopin de terre derrière le presbytère en potager ? Ces derniers temps j’ai vraiment l’impression de me faire saigner lorsque je vais au marché, alors je me disais que peut-être je pourrais essayer de faire pousser quelques navets, choux et herbes aromatiques pour améliorer le quotidien ?
- Evidemment ! Je ne vois pas l'intérêt d'avoir un jardin si c'est pour ne pas nous en servir. Jésus dit 'multipliez vous sur la Terre', mais rien ne nous assure qu'il ne parlait que de nous. Les légumes et les fruits aussi ont droit à une profusion de vie et d'enfants. C'est une bonne idée que vous avez là. Cependant, pour ma part, je ne puis affirmer avoir la main verte, il me faudra m'en remettre à votre jugement en la matière, mais je compte sur vos talents pour faire de moi un respectable jardinier." Il avait dit cela avec un bonne humeur pas trop forcé. A vrai dire, cette initiative était réconfortante pour lui. Avoir de nouvelles idées et des perspectives d'avenir dans une époque où toute nouvelle entreprise semblait lié à l'échec par le destin était toujours quelque chose de réconfortant. L'innocence de Maura était invariablement bien venue dans le presbytère, pensait-il.

Mais c'est alors que quelqu'un toqua à la porte, ou plutôt frappa :
"Je vous en supplie, ouvrez moi… il y a des bruits effrayants partout, je suis perdue, je ne sais pas où aller…"
La situation était fort suspecte, mais le bénéfice du doute l'emportait : une pauvre brebis égaré n'était jamais à négligé, fut-elle douteuse. Tomas se leva et se dirigea vers la porte sans se presser. Il n'avait pas répondu à la voix et les quelques secondes de silences auraient put apparaître comme du dédain mais finalement la porte s'ouvrit rapidement sur la silhouette du prêtre qui était déjà en train de faire demi-tour, se dirigeant vers la table. Il avait bien noté le teint un peu palot de la fille, mais il ne s'en formalisa pas outre mesure. Tout en marchant, il parlait.
"Entrez mon enfant, entrez. N'ayez pas peur : le bruit de dehors ne tue pas plus que celui du dedans. Sachez cependant respecter les couvres feux en vigueur : l'ombre est plus meurtrière que n'importe quel son que vous pourriez entendre. (il fit une pause et s'assit) Sauf, peut être, que les trompettes de l'apocalypse.
Entrez donc et venez vous asseoir. Maura va vous servir un couvert et nous partagerons la soupe. S'il y en a assez pour deux personnes, il y en a assez pour trois."
Père Tomas savait que son insouciance pouvait parfois exaspérer sa servante, mais après tout, c'est en vivant de la sorte qu'il s'en était sortit jusque là, c'est en vivant de la sorte qu'il finirait sa vie.

Sur ce, il entama le bénédicité.

"- Oh mon père, Dieu vous bénisse de votre bonté. Rares sont les gens qui ouvriraient leur porte, surtout en ces temps troublés, je ferais tout pour vous remercier de votre geste.
- Ce n'est pas moi qu'il faut remercier et ce n'est pas ma porte que je vous ai ouvert ; mais celle de celui qui est là haut. Fit-il en montrant le plafond noirci du doigt. Comprenez, je ne fais que lui obéir. C'est lui qui vous a mené jusqu'ici.
- Merci beaucoup. Vous me sauvez la vie vous savez. Cette nuit semble encore plus noire que les autres, comme si le mal était à l’œuvre
- Mais il est à l'oeuvre ma demoiselle. Oh, loin de moi l'idée de vous faire peur. Je sais ce que cela peut représenter d'effrayant, mais le mal est partout présent et partout à l'oeuvre ; et il aime à se dissimuler dans les apparences les plus insidieuses." Lui expliqua t-il avec douceur mais également des yeux rieurs.

Il avait bien remarqué l'air suspicieux de Maura et cela l'enchantait. Il aurait aimé vivre dans un monde paisible où sa vigilance aurait été mise à rude épreuve et aurait finit par céder, mais ce n'était malheureusement pas le cas et il remerciait le ciel de lui avoir confié une jeune femme aussi prudente que dévoué. Il espérait bien qu'elle soit la première à ressortir vivante de ces conflits, même s'il ne se faisait aucun soucis sur sa destination post-mortem.

"Vous avez parlé de couvre-feu ?"
Ah ! Ces vampires ! Ils avaient la subtilité d'un tractopelle. Et en plus, c'était un anachronisme, c'est dire !

"Bien sûr ! Vous n'imaginez tout de même pas que les autorités laisseraient leurs sujets dehors risquer leur vie par les temps qui courts. Mais dites moi, vous ne devez manifestement pas être d'ici pour ignorer cette règle. D'où venez vous donc ? Et quel est votre nom ?"

Tomas était curieux de voir comment la jeune vampire allait essayer de se justifier. S'il était facile pour une jolie fille de faire l'apeurée, c'était une autre affaire que d'expliquer comment on avait fait pour passer les défenses de la ville en temps de guerre civile sans avoir été avertit du couvre-feu.
Sans était une, encore plus difficile, que de justifier son absence de reflet sur le tout petit miroir fiché plus loin au mur, et qu'il lui offrait un angle de vue sans équivoque ; seule marque de vanité que le père Tomas avait toléré, pour que Maura puisse satisfaire son nécessaire vital de coquetterie féminine, qu'il prenait pour un effet secondaire de son obsession pour l'ordre et l'hygiène.

Pour l'heure, le père Tomas parlait à la jeune vampire avec un ton paternel et tout à fait intéressé. En fait, il était vraiment intéressé. S'il détestait cordialement ceux de sa race, il n'en avait pas moins d'attention pour les pauvres brebis égarés qu'ils avaient autrefois étés. De plus, il devait encore découvrir si des renforts étaient à l'affûts dehors, prêts à intervenir. Peut être était-elle là pour négocier quelque chose ? Tomas en doutait. Elle ne se serait pas prêté à se petit jeu sinon. Tout ce qui lui importait, c'était de préserver la vie de Maura, non parce qu'il tenait à elle, non parce qu'il doutait qu'elle n'eût une meilleure vie au royaume de Dieu que dans celui de Turlach O'Connor, mais parce qu'il n'estimait pas juste que ses convictions propres n'entraînent des âmes innocentes avec lui.

Mais la jeune vampire (était-elle réellement jeune d'ailleurs ?) n'était certainement pas une âme innocente. Les vampires pouvaient être, au mieux, des âmes repentantes, mais jamais innocentes. Et il n'y avait pas que sa bible dont le père Tomas ne se séparait jamais. Il avait sur lui, dans sa robe bure comme dans son livre sacré, de quoi abîmer son joli minois d'enfoiré de serviteur du Malin (pardon mon Père pour ce juron, je vous salut, ô Marie pleine de grâce) !

Il était paré à toute éventualité. Si cette petite vampire le cherchait, il lui ferait comprendre qu'on ne l'avait pas placé à Galway pour rien.
Amen

"Je m’appelle Chiara. Je suis d’origine italienne et je viens à peine d’arriver en ville. Je ne suis pas vraiment au fait des … habitudes locales, autant être honnête. Mais j’avais besoin d’un peu d’air. Etre enfermée à longueur de journée n’est agréable pour personne, vous n’êtes pas d’accord ?"

Bien évidemment, cette petite avait toute l'irréflexion propre à ceux de sa race bestiale. Le père Tomas en était quelque peu affligé. Une partie de lui était fascinée par les vampires et se demandait quelle utilité des êtres immortels qui ne ressentaient le froid, pouvaient voir dans la nuit et possédaient une force incroyable, auraient put avoir dans la société. C'était sa partie laïque, celle qui aurait fait de lui un bon législateur, ou plutôt un tyran honorable. Il se prenait parfois à imaginer se que serait une vie d'humains, de lycans et de vampires travaillant main dans la main. Mais force était de constater que les vampires avaient un sens moral trop étiolé du fait de leur nature démoniaque, qu'ils étaient incapables de se tenir, de vivre correctement en société. Leur nutrition faisait d'eux des criminels aux yeux de la loi de Dieu et de celle des hommes, mais il y avait plus que cela. Les vampires, qui se moquaient ouvertement des loups-garous, étaient certes moins rustres mais bien plus cruels, bien moins dignes de confiance, et totalement incapables de vivre en harmonie, ne serait-ce qu'entre eux, et ce à plus forte raison que les humains. C'était désolant. Ils ne constituaient pas seulement un blasphème ; en dépit de leurs formidables aptitudes, et aussi à cause d'elles, ils constituaient une maladie.

"Oh. Et bien je dirais que vous devez être d'une formidable confiance envers le Sauveur pour entrer dans une ville aussi difficile d'accès que Galway et où règne visiblement une guerre civile des plus terribles. Vous feriez une excellente missionnaire, n'est-ce pas mademoiselle Maura ? Cela dit, être enfermé à longueur de journée est toujours plus agréable que de se faire saigner à blanc." Puis, il ajouta de façon pittoresque : "Oui, tel est le sort des hommes." On aurait dit qu'il y avait un accent de résignation.

Il était bien calé sur sa chaise. Un autre prêtre aurait eut l'air balourd, la panse reposant sur son corps comme tentant d'en faire tenir le poids, mais pas le père Tomas. Sa tenue, d'une droiture et d'une rigidité effrayantes, contrastait avec son regard bienveillant et chaleureux, bien que mélancolique. C'était là l'attitude du père Tomas O Néill ; il était prêtre de Galway, après tout.
C'était un Pygmalion que cet humain.

Après un instant de réflexion durant lequel il assista aux cabrioles verbales de la petite drôlesse, il s'adressa à Maura ; le repas était finit depuis peu car enfin il n'y avait pas grand chose à manger.

"Mademoielle Maura, c'est une bénédiction que cette rencontre et je me réjouit de savoir que le Seigneur épargne à des être aussi innocents des épreuves âpres comme la bile. Pourriez vous allez chercher la poire que mon défunt oncle m'avait offert lors de son dernier passage dans la ville ? Vous vous souvenez ? Elle se trouve sous la commode, c'est la bouteille bombé à verre terni. (à Chiara) Je sais qu'une jeune femme se voit souvent déconseillé l'alcool, qui rend fou les hommes, mais sachez qu'il est de bon ton dans l'enceinte du clergé de célébrer. Après tout, Jésus n'offrait-il pas des libations de vin à ses disciples ? Nous rendrons grâce, voilà tout !" Lança t-il de cet air réjouit qu'on les ecclésiastiques du nord à l'idée de boire.

Les prêtres étaient souvent des gens de famille modeste qui se tournaient vers l'Eglise pour une raison bien précise : on y mangeait bien, on y avait chaud et lit douillet. La foi se conjuguait d'un appétit animal pour une suffisante sûreté, si bien qu'on ne savait que rarement si tel ou tel paroissien rendait grâce au corps et au sang du Messie ou à son sacrifice.

Cela dit, le père Tomas ne buvait pas.
Et il n'y avait jamais eut d'alcool sous son toit.

Il y avait néanmoins une bouteille à corps bombé en verre terni. Elle contenait ce qu'il appelait de l'eau de vie, qui n'était rien de moins que de l'eau bénite - consacré par le Vatican évidemment - qu'on lui avait donné comme maigre rempart dans sa fonction sainte. Malgré tout le temps et les ravages de la guerre civile, il avait toujours répugné à faire fondre la chaire d'un être vivant, bien qu'il se répétât en lui que ceux qui y était sensibles avait un intérieur noir comme la suie.

Mais il ne doutait pas que Maura s'en servît. Elle ne semblait pas à proprement parler enchanté de la présence de la jeune femme, c'était une évidence, et elle portait en son sein une haine farouche contre créatures de la nuit, qu'il avait à peine apaisé au cours du temps. Tout ce qu'il voulait, c'est qu'elle fut en moyen de se défendre si la vampire l'attaquait. Au vu de la bouteille, il y avait de quoi faire disparaître entièrement un non-vivant de 90 kg.

"Dites-moi mademoiselle Chiara : le Seigneur vous a t-il déjà parlé ?"

Les manches dans sa robe de bure depuis qu'il avait finit sa dernière cuillère de soupe. Ses mains dissimulaient jouaient avec la pointe d'argent, attendant que la nécessité ne souffle dans sa corne de brume.
Ceci est mon corps.

Le père Tomas n'était pas du genre à s'impatienter, mais il avait du mal à comprendre pourquoi la petite ne passait pas tout de suite à l'action. En général, ceux de sa race maléfique ne se faisaient pas prier deux fois (pardon, ô Marie pleine de grâce pour ce jeu de mots) pour casser la croûte, pour boire à la source, comme on dit, pour s'en prendre à leur cible préféré : la plus faible.

Peut être devait elle attendre des renforts, tâter le terrain, se prendre tout les pièges dans les dents afin que les larges manches du vieux fou fussent vidés de toutes leurs cartes sournoises. Même si ces démons étaient de grands solitaires (les lycans, au moins, avaient le sens de la famille), il y avait fort à parier que celle-ci n'était pas toute seule. Bien sûr, il ne pouvait tout aussi bien s'agir que d'une simple nouvelle recrue des armées du Malin qui faisait cavalier seul, comme il y en avait tant, et se prenait pour une nouvelle superpuissance à elle toute seule. L'orgueil était le pécher préféré de ces suceurs de sang. Immortels, lorsque l'un d'eux mourrait, vous pouviez être sûr que c'était une faute d'orgueil. Qu'on me frappe, je me relève, qu'on me prive, je m'abstiens, qu'on me chasse, je dormirais dans d'obscures cimetières. Mais qu'on me laisse, et je finirai bien par vouloir détrôner Jésus lui-même. Personne n'a mit de couteau sous la gorge des rois de Babylone pour leur intimer de construire une tour immense.
Personne n'est plus présomptueux qu'un vampire. Le pouvoir créé la malignité, le pouvoir démoniaque créé la stupidité.

Cette Chiara, qui n'avait prit la peine, n'y de cacher ses origines étrangère, ni sa fraîche arrivée, avait été sans doute missionné pour leur faire du mal, au père Tomas et à sa fidèle servante, Maura. Et ça, c'était problématique. C'était problématique car il savait pertinemment que personne n'aurait envie de revêtir sa bure troué et barbouillé de sang caillé ; que donc personne ne serait là pour guider ces brebis égarées. C'était problématique car Maura n'avait rien à faire là-dedans, car elle n'avait jamais mérité la mort, tout comme un millier d'autres femmes et jeunes filles, occupées à leur foyer et nourrissant leur famille avec vertu n'avait pas mérités la mort. Mais on oublie trop souvent que le combat contre les ténèbres est une élévation par les larmes.
Voilà la différence : certains s'élevaient par le sang, d'autres par les larmes ; mais ceux qui avaient du cœur et de la noblesse ne le faisaient que par les leurs.

Dans tout les cas, il était dangereux de tourner autour du pot. Car c'était bien d'un pot dont il était là question. Un pot de chambre, contenant tout ce que les pots de chambre contiennent, c'est à dire rien de très ragoûtant. Et ce pot de chambre pouvait-être là pour jouer un peu avec eux avant de verser ses immondices sur leur âme pure ou faire patienter le prêtre le temps que quelque chose se produise, auxquels cas, il fallait couper court à toute tergiversation.

Le père prit lentement la bouteille et la déboucha, non sans un certain effort tant le liège était enfoncé dans la trompe. On eut dit qu'il avait prit racine. Après avoir émit le son caractéristique de la victoire (chpou !), le prêtre versa un peu du liquide avec une lenteur toute parcimonieuse dans un petit verre – qui devait contenir pas plus de quatre gorgées – et, avec deux doigts, fit glisser ledit verre en direction de Chiara. Il n'y avait aucune odeur d'alcool. Et la présence d'un seul verre était quelque peu oppressante.

"- Et que pensez vous que Dieu pourrait avoir à me raconter ?
- Et bien, mon enfant, que diriez-vous de le lui demander en personne ?"

Il y eut ce blanc d'une seconde, cette explosion de flamme qui avait créé un vide dans lequel plus rien n'existait sinon l'idée, remontant lentement comme une soupe de poisson mal digéré qui remontait le long de la trachée, cherchant une voie vers la sortie, vers la nappe de votre mère, héritage millénaire, l'idée que ce qui venait d'être dit avait plus de sens que toutes les futilités qui avaient étés échangés au cours des précédentes minutes. Il y eut ce blanc, qui était celui du sourire du père Tomas... Et il y eut grand vacarme.

Surgissant avec une rapidité qui n'avait rien de celle d'un vieillard, une lame terne vint se ficher dans le dos de la main qui se tendait vers le-liquide-qui-n'était-pas-de-l'alcool. Le choc fut si brutal que le craquement de certains des os - qui avaient pourtant cédés – fut recouvert par le bruit de l'impact dans le bois. L'arme, qui se présentait sous les dimensions d'un petit couteau de cuisine, possédait cependant un manche beaucoup plus petit, si bien qu'on devinait la paume requise plus que les doigts pour la manipuler ; des dents striaient les deux côtés tranchants qui leurs donnaient un aspect d'instrument de torture et rendait leur retrait insupportablement douloureux.

Mais le père Tomas connaissait bien cette lame, il n'avait pas besoin de tomber en contemplation devant-elle. En fait, il ne prit même pas le temps de la regarder. Il savait que son coup avait frappé juste, et c'est tout ce qui comptait.
Ne pas perdre de temps, ne jamais perdre de temps avec ces bêtes-là.

Immobiliser, aveugler.

Sans s'accorder un instant pour réfléchir, il prit le verre qu'il avait lui même servit et lui en jeta le contenu au visage, se levant de son séant si vite qu'il en fit tomber la chaise, il se mit entre Maura et lui.

"Maura ! Sortez par le fenêtre, vite ! Inutile de contourner : plus vite vous préviendrez ce qui reste de la garde, plus vite cette ogresse sera mise hors d'état de nuire."

Il connaissait bien cette engeance et savait que la première manœuvre qui viendrait à l'esprit de l'italienne serait de vouloir prendre un otage, de faire de fausses négociations pour les tuer tout les deux, de préférences dans d'atroces souffrances/pleurs/horreur/etc. Il est vrai que leur totale absence d'état d'âme (leur absence d'âme, en fait) leur donnait un avantage stratégique.

Immobiliser, aveugler, affaiblir.

En l'état, un vampire de première jeunesse aurait déjà eut plus ou moins son compte. On avait beau être immortel, se faire trouer la main et fondre le visage n'était jamais une expérience qui réjouissait le cœur, fut-il de pierre au pays des démons. Mais s'il y avait une règle à respecter lorsque l'on avait à faire à un monstre, c'était de ne prendre aucun risque. Dieu demandait miséricorde aux hommes, pas à ces créatures. Elles attendaient le meilleur moment pour vous griffer de leurs serres.

Il fallait donc tout faire pour la submerger de douleurs et de blessures en un minimum de temps. Après, il pourrait commencer par poser des questions. Mais si elle s'était présenté à lui en usant de mensonge, il n'y avait que peu de chance pour que les réponses le rendent clément. En fait, au regard du Très Haut, il n'y en avait aucune.

Père Tomas prit la volumineuse bouteille d'eau bénite qu'il s’apprêtât à verser sur la vampire, comme pour noyer une infection dans l'alcool. Mais, comme il a été dit plus haut, aucune odeur d'alcool ne se dégageait de cette bouteille-ci.

Spoiler:

Les choses allaient de mal en pis.

Tout n'avait pas si mal commencé. Un couteau planté dans une main, de l'eau bénite jeté au visage et le prêtre qui était prêt à remettre ça ; le tout avait alors un petit air de Dieu satisfait et de Satan qui tirait une vilaine moue. Il y avait jusqu'à Maura qui, pour une fois n'avait pas le moins du monde bronché, et si – il en était sûr – elle avait hésité en son cœur, elle ne se fit pas prier deux fois. Les prières, elles les connaissait de toute façon par cœur.

Et puis un nouveau participant été entrée. Bien sûr, il n'aurait pas put s'agir d'une bonne vieille troupe d'humains armées jusqu'aux dents, prêts à en découdre avec du monstre. Non, ça aurait été si beau. A la place, le sort (règle numéro 458 : si une situation est foncièrement injuste, ça ne peut pas être la faute de Dieu) lui avait apporté un second démon, comme si un seul ne suffisait pas.
C'est pas vrai, ils se passent le mot ou quoi ?

Encore heureux, ces créatures avaient toujours leurs avantages. En outre, le lycan, une fois transformé, était assez stupide pour pousser une longue plainte à son dieu sélénite païen et diabolique. C'était, certes, chose courante en ces temps de querelles diplomatiques (entendez de guerre civile sanguinaire) ; mais très improbable depuis le presbytère.

En cet instant, Tomas se disait donc que la rumeur d'un cri de loup-garou ainsi que la présence d'un vampire dans la demeure de ce si gentil, si vertueux père Tomas, accompagnée de la nouvelle de sa mort serait la torche dans l'étoupe, la goutte d'eau qui faisait déborder le verre (presque tout les vases avaient étés vendus), bref, serait de trop pour les humains, en particulier les fidèles encore indécis, qui y verraient l'organisation – par les lycans et les vampires, unis – de l'extermination de leur rare. Inutile de dire à quel point le soulèvement serait décisif dans cette guerre.
Il n'y a pas de diplomatie, juste des opportunités.

Il lui fallait simplement gagner un peu de temps. Le tumulte devait déjà gagner les bâtisses voisines, le presbytère n'était pas très isolé. Les gens finiraient indéniablement par regarder par les fenêtres, à voir les deux monstres – vampire et lycan – réunit pour attaquer un pauvre serviteur de Dieu ; deux créatures de cauchemar démontrer leur soumission au Malin, leur volonté de détruire l'engeance humaine. S'il pouvait se rendre dans la rue, s'il pouvait se faire assassiner en publique, devant nombre de témoins, les choses seraient joués. Il pourrait rejoindre les cieux le cœur léger – quoique sans doute transpercé.

Mais sortir ne serait pas une mince affaire. Entre lui et le salut des Galwegians se dressait un authentique spécimen de loup géant, poilu, baveux (si, si, je vous le jure, il bavait ! Sûr!) et plus ou moins affamé – de chaire comme de mort. Le père Tomas se dit qu'il lui faudrait la jouer fine.

"J'ai un message de Dieu à vous transmettre... Vous allez tous..."

Laissant glisser de sa manche une seconde petite lame d'argent. Il avait été tenté de les vendre pour acheter de la nourriture à distribuer aux pauvres (et à Maura, qui en faisait partie), mais finalement la mort d'un poilu était un bon investissement et méritait bien un petit jeun. Toutefois qu'il levait ladite lame de sa main droite pour dédicacer le canidé en plein visage, la jeune vampire, qu'il croyait – au moins ponctuellement – neutralisé, décida de n'en faire qu'à sa tête et de se jeter sur son ennemi. L'instinct de conservation étant ce qu'il était, le père Tomas voulut reculer.

Cependant, avec toute cette action, de l'eau bénite s'était échappé de la bouteille et la pierre polie du sol de la cuisine était devenu un tant soit peu glissant. Avant qu'il n'eut le temps de dire « Nom d'un Nebuchadnezzar ! », il se retrouva cul par dessus tête, la vampire disparue, lui à moitié dans un meuble de bois. Mais que s'était-il donc passé ?

Et bien, en fait, c'était très simple : il ne s'agissait pas d'un intervention divine. En fin, peut être que si ; après tout, les voies du Seigneur sont impénétrables (contrairement à celle de sa cage thoracique, malheureusement). Mais toujours est-il que Chiara n'avait pas disparut par magie ou par la force de la Providence. Elle avait tout simplement foncé aveuglément vers le prêtre qui, dans sa culbute, était arrivé au niveau du sol. La jeune vampire s'était alors prit les pieds dedans était passé par la fenêtre.

C'est dans une position assez incongrue que le père Tomas vit donc le lycan prêt à passer à l'action, et il se dit que sa position aurait put difficilement être plus inconfortable. Cependant, il n'avait pas dit son dernier mot ! Par chance, c'est contre un meuble de cuisine que celui-ci s'était heurté. Vieux et de mauvaise facture, la porte avait cédé et le prêtre avait ainsi un accès libre à toute une armada de couteaux des plus tranchants, bien qu'ils n'étaient pas en argent.

D'un geste vindicatif et vigoureux, il plongea sa main dans le meuble, à l'aveugle pour ne pas perdre le démon des yeux. Il était prêt à faire fasse. Qu'il ne vienne pour voir ! Il goûterait à la colère divine. Il goûterait à vingt centimètres de colère divine, et il ne parlait pas de ses attributs naturels. C'est alors que sa main trouva l'objet et, avec le même zèle qu'il avait mit depuis le début des hostilités... brandit furieusement un poireau à la face du lycan.

"Sainte Marie mère de Dieu priez pour nous."

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